Chapitre 6 : Le massacre
Petite soirée dans un gît entre personnes qui ne se connaissaient pas avant. Une atmosphère conviviale en apparence où l’heure est au partage, aux discussions. Les hommes boivent, la femme garde le silence.
- Allez, Lucas, la bouteille est presque finie, encore un petit coup.
- Je suis déjà totalement torché là… juste une lichette mais je vais pas la finir.
Lucas reprend cette bouteille qui est passée si souvent entre ses mains. Comme les fois précédentes, il pose ses lèvres, fait semblant d’en avaler une gorgée, fait semblant que ça lui brûle le gosier. Il n’en est rien. Et même dans le cas contraire, il tient bien mieux l’alcool que ce qu’il veut bien faire croire à ces trois hommes. Mais, il veut avoir l’esprit clair et n’avale rien de cette vodka.
- Alors, t’en a pensé quoi de ce ragoût ?
- Pas mal… avec des champignons en plus…
- Ha ha ha, t’es exigeant toi. J’aime bien ça ! Je t’aime bien, vraiment. Et ta nenette, elle sait parler au moins ?
- Elle n’est pas très loquace. C’est plutôt une bonne chose, non ?
Les trois hommes rient. Lucas sent la tension monter d’un cran. Il se dit “Putain, Greg, débarque maintenant, s’il te plait”. Héléna, déjà contre lui, se colle encore plus. Elle le regarde, elle sent cette inquiétude qui augmente d’un coup. Et le braconnier reprend, d’un ton des plus sérieux :
- Bon, tu offres quoi en dessert puisqu’on t’a amené alcool et bouffe ?
- Euh… et ben, tu me prends un peu de court là… J’ai peut-être…
- Me propose pas une de tes merde en sachet. Je sais ce que je veux, et ce que mes gars veulent aussi. Tu vois de quoi je parle ?
- Je n’ai pas l’esprit très clair…
- Vu ton état, tu ne vas pas pouvoir faire grand-chose avec elle, pas vrai ? Mais moi, elle me fait bander direct !
- ….
- Et j’ai bien envie de connaître le son de la voix de ta pétasse. Puisqu’elle ne cause pas, elle doit gémir comme une sacrée salope !
- Hey… un peu de respect là, tout de même.
- T’inquiète pas, je vais lui fourrer ma queue dans chacun de ses trous avec le plus grand des respects. Et je suis sûr qu’elle en redemandera et suppliera d’en avoir plus à quatre pattes comme une bonne petite chienne !
Lucas se lève d’un bond en prenant Héléna par la main. Ils reculent doucement vers la porte d’entrée. Lucas sort :
- Hey, on a passé une très bonne soirée. Pas besoin d’aller à ce genre d'extrême, ok ?
- Je vais te faire une proposition, petit con : soit nous baisons ta salope avec ton consentement, soit nous baisons ta salope avec ta gorge ouverte en train de pisser le sang. Suis-je clair ?
Lucas ne sait pas très bien quoi faire. Il se demande s’ils vont pouvoir fuir suffisamment rapidement pour que ces hommes ne les rattrapent pas. La porte d’entrée est à trois mètres derrière eux. Il n’a pas le choix, il veut tenter le coup. Héléna commence à lui serrer la main fortement tout en le regardant la bouche entre-ouvrante, murmurant quelque chose qu’il n’entend qu’à peine mais qu’il ne comprend pas. Il voudrait la rassurer en lui disant que tout va aller bien. Mais, il sent une chaleur étrange l’envahir. Il sent une sorte de pouvoir le submerger. Ses jambes se mettent à flageoler et il tombe à genoux sur le sol.
Les trois braconniers se mettent à rire aux éclats. L’un d’eux sort :
- Il est tellement bourré qu’il ne tient même plus debout, ce con !
Héléna lâche la main de Lucas et fait un pas en avant devant ces hommes. Elle déboutonne la chemise, l’ouvre, montrant son corps qui fait déjà baver ces monstres, et dit d’une voix douce :
- Puisque c’est moi que vous voulez, allez-y. Prenez-moi.
- Oh, mais tu sais parler en fait. Tu espères qu’on va laisser tranquille ton petit copain comme ça ? Il nous a manqué de respect. Et ceux qui ne me respectent pas… je ne voudrais pas te faire peur, pétasse !
- Je n’ai que faire de lui. Faites ce que vous avez à faire.
- … Je reconnais les salopes à 100 pas, et toi, tu en es une sacrée !
Lucas sent son corps vibrer d’une énergie incompréhensible. Il n’arrive cependant pas à faire le moindre geste. Il observe le spectacle et n’en croit pas ses oreilles en entendant ce que vient de dire Héléna. Le chef des braconniers fait un signe à l’un des deux autres en ajoutant :
- Et fais en sorte que son corps ne soit pas identifiable.
- Evidemment.
Cet homme attrape Lucas par les cheveux alors qu’il est toujours à terre. Il le tire à l’extérieur du gît. Il le jette un peu plus loin. Puis, il se fout sur lui, appuyant de tout son poids sur le ventre. Il sort son grand couteau, prêt à égorger l’homme. Lucas a alors un souvenir qui revient à la surface, les paroles de son père qui lui apprenait à se défendre lorsqu’il était gamin :
“Tu pètes le nez, ça fait pisser le sang et couler les larmes. Comme ça, ton ennemi ne voit plus rien. Un bon coup dans le rectum, ça coupe le souffle et l’empêche de crier. Et tu lui brises ensuite les genoux…”
Et dans un fol espoir, alors que l’autre est prêt à lui trancher le cou, Lucas frappe son assaillant de toutes ses forces, avec la paume de sa main. Un geste d’une précision qui l’étonne lui-même, d’une puissance dont il ne se savait pas capable. L’autre tombe à la renverse, le visage en sang, l’os du nez rentré dans son crâne, restant inerte sur le sol.
Lucas ne cherche pas à savoir s’il est encore en vie ou non. Il récupère le couteau. Il découvre qu’il porte également un pistolet. Il s’en saisit et lâche la lame. Il sait comment l’utiliser même s’il n’a pas touché d’armes à feu depuis des années. Il se demande juste s’il doit aller sauver Héléna, si elle a besoin d’être sauvée. Les paroles qu’elle a prononcées étaient si dures.
Le vent se lève d’un coup faisant bruisser les feuilles des arbres. Il s’agit peut-être de son imagination, mais il a l’impression d’entendre des voix lui murmurer : “Aide-la, sauve-la...”.
Lucas n’hésite plus, perd toute notion de temps et de réalité. Il retire le cran de sûreté du pistolet et entre d’un coup dans le gîte. Héléna est à genoux, le chef est debout avec le pantalon baissé et tient la tête de la jeune femme. Lucas tire deux balles qui font exploser le crâne de l’homme. Deux autres balles et c’est celui du second qui vole en éclat avant même qu’il n’est pu cligner des yeux.
Héléna le regarde, lui sourit. Elle tombe sur le côté comme si tous ses muscles venaient de la lâcher. Lucas reprend conscience, se rend compte de ce qu’il vient de faire. Il lâche l’arme à terre. Il a tué… il ne s’en serait jamais senti capable, mais il l’a fait, comme pris d’une folie soudaine. Il se précipite vers Héléna et la prend dans les bras :
- Hey, ça va ?
- Je savais que tu y arriverais. Je ne pouvais pas le faire toute seule, mais toi oui.
- Je ne comprends pas ce que tu dis.
- Je t’ai donné tout mon pouvoir, je n’ai plus de force.
- … Ce n’est vraiment pas clair… Je comprends rien là...
- Il faut qu’on parte. D’autres vont venir. Ils ne sont pas loin.
- Attends, il fait totalement nuit. C’est peut-être plus dangereux dehors qu’ici.
- Non, la forêt nous protègera. Ils sont en train d’arriver, nous devons nous dépêcher.
- Comment le sais-tu ?
- Les arbres le disent. Ne les entends-tu pas ?
Lucas ne dit plus rien. Il la croit, il sent un nouveau danger s’approcher. Il relève Héléna, passe un bras sous ses aisselles. Il ne récupère que la chemise à terre, mais pas son sac à dos, ni le pistolet. Ils n’ont que le temps de s’enfuir de la cabane.
Et ils disparaissent entre les arbres de cette forêt, à peine une minute avant que de nouveaux braconniers arrivent précipitamment, ayant entendu des coups de feu. A peine une minute avant que ces hommes découvrent le corps de leurs trois amis sans vie.