Chapitre 12 : Maman
- Ça va pas Laurent ?
- Si, bof en fait.
- C’est Fanny ?
- Oui, non… C’est un tout en fait. Pour la toussaint, je suis seul, voilà, seul dans mon studio à ne pas savoir quoi faire pendant une semaine. Mes parents ne seront pas là, Fanny sera chez les siens. Alors oui, je déprime un peu. Tu rentres chez toi aussi ?
- Chez moi, c’est ici. Si tu veux, on pourra se voir, à part le premier Novembre, je suis libre le reste du temps.
- C’est vrai ? C’est génial ça. Je pensais que tu retournerais chez tes parents… Enfin, comme tout le monde quoi.
- Ben non… J’avais un truc de prévu, mais ça tombe à l’eau alors je serais là.
- Et le 31 au soir, on pourrait se faire une fête d’halloween.
- Juste tous les deux ?
- Ouaip, et déguisé en plus.
- Ça craint tout de même.
- Ouaip, c’est ça qu’est génial.
- Tu me fais trop rire. Ça marche pour moi.
Quelques jours plus tard, j’attendais Sandra. J’avais décoré mon studio avec des toiles d’araignées, j’avais préparé un saladier rempli de sangria, des bonbons placés dans différentes assiettes. Pour ma part, j’étais habillé en pirate.
Elle arriva enfin. Elle était à l’heure, mais j’étais trop impatient de la voir. Elle était déguisée en vampire, avec les dents, le maquillage. Elle portait une grande cape qui recouvrait son corps, mais laissait voir des bas résilles et ses chaussures à talons aiguilles. Elle ouvrit son vêtement en disant « je ne savais pas quoi mettre, alors, j’ai fait simple ». Ho oui, c’était simple, un simple string noir en dentelles, les tétons maquillés rouge sang, et rien d’autre.
- Ho ben, à ta place, je n’aurais rien mis du tout.
- Je m’en doutais que tu allais dire ça. De toute façon, je savais qu’il n’allait pas durer bien longtemps.
Et elle le retira puis nous servit un verre de sangria, on trinqua, on s’embrassa, et nous avons couché ensemble, avons fait l’amour deux ou trois fois avant de s’endormir l’un contre l’autre.
Je l’ai sentie se lever au petit matin.
- Tu vas où ?
- Tu ne te souviens pas ? Je t’avais dit que j’avais un rendez-vous aujourd’hui. Dors, on se verra demain.
- Pas ce soir ?
- Je serais chez moi, mais j’aurais certainement envie de ne voir personne.
- Tu ne veux pas me dire où tu vas ?
- Dors, prends des force, et à demain.
Je ne l’ai pas écoutée. Je me suis habillé en vitesse et me suis caché à la sortie de la résidence attendant son arrivée. Elle était habillée tout en noir, il pleuvait, elle n’avait pas de parapluie, mais ça ne semblait pas la gêner. Elle prit le RER, puis un métro, et un autre. Elle marcha plusieurs centaines de mètres avant d’entrer dans un cimetière. J’aurai pu m’en douter, c’était la fête des morts. Par chance, la pluie avait cessé mais le ciel restait bien gris.
Elle stoppa devant une tombe, s’agenouilla devant. Elle semblait s’être statufiée. Je ne la voyais que de dos, elle ne bougeait pas, rien, seuls ses cheveux volaient au vent. Je suis resté à l’attendre une bonne heure, peut-être plus, mais elle ne semblait vraiment pas avoir envie de quitter cet endroit. Devais-je moi aussi rester là ? Non, il valait mieux la laisser tranquille.
Je suis alors parti vers le métro. La pluie recommençait à tomber. Il y avait un magasin, je suis entré et suis sorti quelques minutes plus tard avec un parapluie. Je suis retourné au cimetière pour la retrouver, pour la protéger de l’eau. Elle ne bougeait toujours pas, comme si elle ne s’était rendue compte de rien. Puis, elle a tourné la tête, m’a regardé avec un petit sourire, un peu triste tout de même, mais ne semblait pas étonnée de ma présence.
- Il est quelle heure ?
- 11h45.
- Je connais un restau sympa pas loin, tu m’invites ?
- Avec plaisir.
C’était un petit restaurant de quartier, vraiment rien de particulier. Beaucoup de photos décoraient les murs, dont quelques nus artistiques. Je n’y ai pas vraiment prêté attention. Nous avons été accueillis par le patron qui semblait la connaitre. Il nous installa sur une petite table dans un coin tranquille.
- J’ai vu trois noms sur la pierre tombale…
- Oui, mon père, ma mère et mon petit frère. Ils sont morts dans un accident de voiture il y a trois ans.
- C’est pour ça que tu pleurais l’autre nuit ?
- Oui et non. Plutôt parce que mes grands-parents n’en ont rien à foutre. Je leur avais demandé de venir aujourd’hui, mais comme par hasard, ils partaient en voyage. Ils ne sont jamais venus les voir. Se sont de gros égoïstes.
- Les quels grands-parents ?
- Je n’ai pas connu les autres, enfin si, ma grand-mère, mais elle est morte lorsque j’étais encore petite.
- C’est nul. Tu dois être étonnée de ma présence, non ?
- Je t’ai vu me suivre. Tu n’es pas très discret. Mais, en fait, ça me fait plaisir. Je me sens moins seule. C’est gentil.
- Tu devais beaucoup les aimer.
- Oui… Ça dépendait des fois… J’en voulais beaucoup à ma mère parce qu’elle avait un amant. Enfin… Après leur mort, j’ai découvert qu’elle couchait aussi avec d’autres hommes en plus de celui-là. Elle était inscrite sur des sites de rencontre… Enfin, je te passe les détails.
- Ha… Et ton père ?
- Il était au courant. Mais, ça ne l’empêchait pas de l’aimer. Il la laissait faire pour la retenir… Je ne sais pas si tu comprends… C’est un peu compliqué.
- Oui, j’imagine bien. Et tu en voulais à ta mère pour ce qu’elle faisait à ton père ?
- Oui, au début en tout cas. Bertrand, tu peux venir me raconter encore comment tu as rencontré ma mère ?
Le patron arriva à notre table, tout sourire.
- Je te l’ai déjà raconté 1000 fois…
- Je veux encore l’entendre et tu aimes me le répéter.
- Ok… Ben, j’avais 30 ans, et elle tout juste 20 ans. Je suis tombé amoureux d’elle instantanément. Elle était même plus que ça, ma muse, mon inspiration… J’aimais lorsqu’elle posait pour moi, pendant des heures et des heures…
- Oui, Laurent, Bertrand était photographe avant.
- Et un jour, elle me quitta, pour ton père. J’ai eu du mal à m’en remettre. J’ai pensé à elle pendant des années et des années, jusqu’à ce jour où elle rentra dans ce restaurant que je venais alors d’ouvrir… C’était vraiment un hasard… Toute la famille était là, tu devais avoir quoi… 5 ans ? Enfin, en la voyant, tous mes souvenirs son revenus à la surface, et mes sentiments aussi. Elle me reconnut aussi, mais fit comme si de rien n’était. Et plus rien pendant quelques mois, jusqu’au jour où elle vint, mais seule cette fois. On a parlé pendant des heures et des heures. On est allé dans la remise, elle s’est mise nue, voulait que je la photographie, comme avant. Son corps était toujours aussi beau, peut-être plus beau encore, et nous avons fait l’amour… Et on se revoyait tous les mois, ou les deux mois, ça dépendait des fois. Elle ne prévenait jamais à l’avance, c’était toujours la surprise… J’ai espéré qu’elle quitte ton père pour moi, mais non… Il y avait toi et ton frère, mais elle était surtout très amoureuse de lui, même s’il n’arrivait pas à satisfaire tous ses besoins et qu’elle allait voir ailleurs de temps en temps…
- Merci Bertrand.
- Je vous conseille le plat du jour. Vous voulez un apéritif ?
- Deux kirs, s’il te plait.
L’homme partit.
- C’est lui son amant ?
- Lorsque j’ai découvert, je voulais savoir qui il était. Alors, je suis venue, plusieurs jours de suite. Je n’étais pas discrète, mais en même temps, je n’osais pas lui parler. Et un soir, je suis restée jusqu’à la fermeture, et il est venu me voir en me disant « Je crois qu’il faut qu’on discute, Sandra ». Il connaissait mon nom, je n’y croyais pas. Il m’avait reconnue tout de suite, dès la première fois, mais lui non plus n’avait pas osé me parler.
- Mais comment a-t-il su qui tu étais ?
Elle se leva, regarda autour d’elle et pointa du doigt une photo, un joli nu de dos, la femme tournant juste la tête pour voir son visage. Je suis resté bouche bée…
- Oui, je lui ressemble beaucoup.
- J’ai cru que c’était toi. Il manque que le tatouage sur les fesses.
- Tiens, regarde celle là-bas. Bertrand l’a prise il y a 5 ans je crois.
- Oui, très jolie aussi. Elle avait quel âge ?
- 46 ans.
- On dirait pas. Ça ne te gêne pas de la voir sur les murs comme ça ?
- J’en suis fière en fait. J’espère que je serais comme elle à cet âge. Tu sais, Bertrand, c’est lui qui m’a fait découvrir ma mère sous un autre angle. Je lui en voulais à elle avant qu’on parle ensemble et il m’a racontée des choses que je ne savais pas, que je n’aurai jamais su. Et je me suis rendue compte que je ne lui ressemblais pas que physiquement. Alors, je lui ai pardonnée d’avoir trompé mon père et je me suis mise à l’admirer. Pourquoi ce sourire ?
- Rien… J’en connais maintenant bien plus sur toi que sur Fanny… Voilà…
- On s’entend très bien maintenant, j’ai beaucoup de sentiments pour toi, mais je ne veux toujours pas d’un petit copain.
- Tu lis dans mes pensées ?
- Dans tes yeux. Après le repas, je retournerai au cimetière. Si tu veux venir avec moi, ça me fera plaisir, j’ai envie de te présenter à eux.
- T’es pleine de contradictions.