Chapitre 28 - Lumière au bout du tunnel
Le prof est sur moi, il me parle violement. Je m’en fous, je ne bouge pas. Je le fusille du regard, je ne digère pas encore ces putains de note du bac blanc. Il peut crier, s’énerver, s’exciter, je ne bougerai pas de ce coin. Non, personne ne me verra faire la roue où me verra m’exhiber d’une façon ou d’une autre plus que cette tenue que je porte. C’est fini ! Qu’ils le comprennent tous : C’EST FINI !
J’ai donné, plus que ce que j’avais, et je n’ai rien en retour. Alors, qu’il gueule comme il veut, je ne ferai pas ces putains d’exercices ! Il dit qu’il va me coller un zéro en sport ? Mais, qu’est-ce que j’en ai à foutre ? Me menacer d’en parler à mon prof principal ? Au directeur ? Qu’il le fasse. Je ne donne plus, plus rien du tout.
Putain, il a mis ses menaces à exécutions sans que je l’aie vu faire : le surveillant général vient me chercher au milieu du cours pour aller voir le directeur. Lui, ça doit être une sacrée ordure tout de même. Si Emilie ne m’avait pas dit qu’il est aussi dans le coup, je ne l’aurais jamais imaginé. Il est discret, du coup certainement très manipulateur. Je me demande ce qu’il m’attend avec lui, je ne suis vraiment pas rassurée.
Le surveillant me fait mettre mon manteau, soi-disant pour que je n’ai pas froid en traversant la cours. Je ne dis rien, je le suis en silence. Il frappe à la porte du bureau, on entend « entrez », la porte s’ouvre, j’ai mal au ventre, j’ai une boule dans la gorge, je baisse la tête. J’ai peur, vraiment peur.
Une voix :
- Assieds-toi, Pauline.
Je réagis aussitôt, c'est la voix de mon père. Mais... Que fait-il là ? Pourquoi l'ont-ils fait venir ? Pour parler des cours de soutien ? Pour m'humilier face à lui ? Je ne bouge pas, et regarde mon père, surprise et inquiète. Il est habillé en costume cravate, comme lorsqu'il allait à son travail à Paris, plus jamais depuis. Je le sens énervé, il est froid et direct. Et il redit :
- Assieds-toi !
C'est plus un ordre qu'autre chose, même si sa voix semble douce et calme. Je m'exécute aussitôt. Il m’explique alors :
"Voici l’objet de ma présence.
N'ayant plus d'accès à l'extranet de l'école depuis le début de l'année, et ce, malgré mes nombreuses relances pour débloquer la situation, j'ai décidé de venir. Malgré une réticence certaine du secrétariat, j'ai tout de même réussi à avoir accès à ton dossier scolaire. Je n'ai pas choisi le jour de ma venue au hasard, tu penses bien. Et j'ai été surpris de tes notes au bac blanc. Le directeur a gentiment accepté de me recevoir, même si j’ai dû fortement insister.
As-tu eu tes copies pour que je jette un œil ?"
Je fais non de la tête. Le directeur ajoute, mal assuré :
- Oui, la classe de Pauline était en sport. Ils les auront cet après-midi.
- Et bien, je regarderai cet après-midi. Je vous tiendrais compagnie jusque là.
- .. Non, Pauline vous montrera ce soir. J'ai beaucoup de choses à faire et …
- Moi aussi, être indépendant demande beaucoup de travail. Mais, je ne vous demande pas votre avis. Je veux comprendre pourquoi les notes de ma fille sont en chute libre depuis le début de l'année.
Le directeur commence alors à sortir tout plein de trucs psychologiques à la con… séparation des parents, comment ça peut perturber les enfants, expliquant qu'il a vu des cas de premiers de la classe devenir des cancres après un divorce. Mon père écoute, je sens une tension émaner de lui, qui grimpe encore et encore. Je peux presque la toucher. Mais, lorsqu'on le regarde, il a l'air très calme et attentif à ce que dit le directeur. Il l'interrompt juste pour me dire :
- Enlève ton manteau, il fait chaud ici.
Je sais qu'il ne me laisse pas le choix, je sais que sa demande est volontaire. Mais, j'ai honte de me montrer devant lui, qu'il découvre que j'ai transformé un débardeur moulant et un peu transparent en bandeau qui cache tout juste ma poitrine. Je voudrais éviter qu'il ne voie que je ne porte rien d'autre qu'un string auquel j'ai enlevé le tissu pour laisser à la vue de tous mon pubis nu. Mais, je retire mon manteau, j'ai envie de pleurer, j'ai envie de m'évader, je veux retrouver mon petit monde. Il n'est définitivement plus là. Je ne ressens qu'une honte extrême, sans la moindre excitation.
Et le directeur ose alors sortir à mon père
- Nous avons un problème comportemental avec votre fille.
- Je vois ça.
J'ai l'impression qu'il va exploser. Pourtant, dans un calme total, il reprend :
- Et, ça dure depuis longtemps ?
- … Fin de l'année, ça s'est accentué en Janvier.
- Et vous avez essayé de gérer ceci en interne afin d'éviter de me perturber suite au départ de ma femme, c'est bien ça ?
- … En résumé, oui...
- C'est très généreux de votre part. Pauline, remets ton manteau et attends moi dehors. Je voudrais discuter en tête à tête avec monsieur Lereune.
Je sors du bureau. J'aimerai savoir ce qu'ils se disent, mais je n'entends rien de compréhensible. Un moment, le directeur s'énerve, mais se calme aussitôt. Mon père n'a jamais élevé la voix, il se contrôle parfaitement. Leur discussion dure longtemps. Mon professeur principal arrive, il baisse la tête en me voyant et rentre à son tour dans le bureau du directeur. Et ça dure encore et encore.
La sonnerie pour aller à la cantine. Je reste toujours debout à attendre mon père. Les minutes passent lentement. Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais j'ai l'impression de respirer à nouveau. Et enfin, mon père sort en disant :
- J'attends votre décision pour ce soir. A très bientôt, messieurs.
Il s'approche de moi et me sourit. Il pose sa main sur ma joue, la caresse et me dépose un baiser sur le front… des semaines que je ne l’ai pas laissé faire. Puis, il me prend la main en disant :
- Viens, on rentre à la maison. T'es dispensée de cours jusqu'à la fin de la semaine. Tu vas pouvoir te reposer.
Dans la voiture, nous ne parlons pas beaucoup. Je lui demande :
- Tu vas le dire à maman ?
- Non.
- Elle risquerait de dire que c'est de ta faute. Tu te doutais de quelque chose ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Ton comportement. Très serviable mais distante, des gémissements que je n'entendais plus le soir.
- … Tu ne voulais pas savoir ?
- Pour que tu me dises que tout allait bien ?
Je n'ai rien demandé de plus. Quelque part, je ne voulais pas savoir ce qu'il s’est passé dans le bureau du directeur. Le soleil se couche, il est rouge, le ciel est magnifique.