Chapitre 19 : Parce que je l’ai tué
J’ai répondu à toutes les façons dont il m’appelait, en oubliant presque mon propre nom. « Pute », « Chienne », « Salope », « Déchet », « Pauvre conne ». Je m’enfichais. Il pouvait bien faire ce qu’il voulait de moi. Ce qui importait était que je souffrais moins.
« Chienne » est vite devenu le surnom qu’il préféra me donner. Il m’offrit un collier en cuir que je portais tout le temps, et y attachait régulièrement une laisse. De toute façon, je ne pouvais pas l’enlever, il l’avait cadenassé.
Combien de temps s’était-il passé avant qu’il me dise : « Faut maintenant que tu commences à rembourser tout l’investissement que j’ai misé sur toi » ? Une semaine depuis mon arrivée dans cet appartement ? Non, bien moins que ça. Trois jours tout au plus.
Il m’emmena dans un lieu sordide, toujours nue, juste vêtue d’un drap. Il m’emmena à un endroit où une dizaine d’hommes étaient présents, masqués. Et il me donna à eux. J’ai été prise pendant des heures, de toutes les façons imaginables et bien plus encore. Et lui, filmait. Il a vendu la vidéo, il s’était même fait payer par ces hommes. Et je n’avais rien à y redire. S’en ait même devenu normal pour moi à force que cette situation se reproduise.
Et j’ai commencé à éprouver du plaisir dans le sexe. J’ai commencé à aimer ça. J’ai arrêté d’être une simple soumise aux pulsions d’autres. J’ai provoqué pour qu’on me baise, pour qu’on soit animal avec moi. J’ai demandé qu’on me prenne comme une chienne. Et j’ai eu une récompense : je n’ai plus eu besoin d’être attachée pour dormir. Je n’ai plus eu besoin d’être attachée la journée en attendant son retour. J’étais plus libre, mais enfermée dans une cage dorée. De toute façon, même si elle avait été ouverte, où est-ce que j’aurais pu aller ?
Et tous les soirs je l’attendais, à genoux devant la porte, les mains derrière la tête. J’avais cette angoisse de ne pas savoir s’il allait être content de comment je m’occupais de l’appartement ; j’avais cette angoisse qui montait en entendant ses pas arriver sur le palier, m’indiquant s’il était de bonne humeur ou non. Mais, cette angoisse était salvatrice car elle me permettait de ne pas penser à mon père. Et je préférais qu’il soit mécontent pour que ce moment dure bien plus longtemps.
Il a failli me tuer deux fois. La première était en m’étranglant, tout en me baisant violement. J’ai été inconsciente de nombreuses minutes. Il avait réussi à me réanimer à coups de gifles. Et ça l’a amusé. La seconde a été lorsqu’il est revenu plus énervé que jamais de son travail. Il m’a frappée, il m’a battue, usant de ses poings, de ses pieds, de ses coudes et ses genoux. Je me souviens de cette bouteille en verre qui arrivait vers mon visage, et plus rien à part un bruit de chose qu’on casse. Lorsque je me suis réveillée, j’étais dans un lit d’hôpital. Il parait qu’on a retrouvé mon corps inerte juste devant les urgences. J’ai regretté qu’il ne soit pas allé encore plus loin, jusqu’à m’ôter la vie, car je le mérite vraiment.
Après quelques jours bloquée sur ce lit à ne presque pas pouvoir bouger, je me suis enfuie. Je ne pouvais pas supporter qu’on me demande qui je suis et ce qu’il m’était arrivée. Je ne pouvais plus supporter de repenser en permanence à mon père. Je suis partie et je suis retournée chez lui. Il était là, ne m’attendait pas, ne comprenant certainement pas pourquoi j’étais à nouveau devant lui. Et je me suis agenouillée, et je me suis excusée :
- Pardon d’être aussi fragile. S’il te plait, reprends-moi.
- Ok… T’es vraiment une cinglée de première. Mais, t’es devenue une très bonne baiseuse. Tu vas pouvoir m’être utile.
Je l’ai pris comme un énorme compliment, et il m’a récompensée. J’ai passé mon permis de conduire qu’il a payé. Il m’a élevée de mon statut d’objet uniquement sexuel à femme présentable, avec tenues de couturiers, bijoux assortis. Il m’a offerte à d’autres hommes qui avaient de l’élégance et de la culture. Ils voulaient de moi, je n’avais aucune raison de refuser. Leurs visages me disaient souvent quelque chose. Mais, je m’en fichais, le but était de leur offrir une fin de soirée des plus agréables. Parfois, j’avais à faire à des femmes. Elles étaient souvent bien plus vicieuses et mesquines que les hommes. Mais, le plaisir n’était pas moindre pour autant.
Et j’ai passé mes journées seule à attendre son retour, à lire des livres pour apprendre, pour pouvoir avoir de la conversation avec ces personnes qui passaient de temps en temps dans des médias. Je suis devenue incollable sur les vins, sur la cuisine, sur les arts. Je suis tout de même restée sa chose, son défouloir dès qu’il rentrait, heureux de me retrouver à genoux devant la porte d’entrée, les mains derrière la tête comme il l’a toujours désiré, la cravache à côté de ma cuisse au cas où il avait besoin de me frapper. Il était bien rare qu’il ne l’utilise pas. Il était rare qu’il ne s’en serve pas jusqu’à ce que je le supplie d’arrêter tellement la douleur était vive, lui donnant alors l’envie de me prendre brutalement. Et je le remerciais secrètement de me faire oublier mon père pendant quelques instants.
Ça aurait pu durer toute une vie. Mais la vie nous joue des tours. Et ce que je craignais le plus sans pour autant en avoir conscience est arrivé : des sentiments sont apparus poussant à une volonté de vivre, poussant à un désir de changement. Et il suffit souvent que d’un détail, que d’une personne pour que tout se bouscule.
- Je sais pourquoi tu es ici, Jade.
- … Monsieur ? Vous connaissez mon nom ?
- Je te connais, oui. Tu pourras lui dire que quoi qu’il fasse, je refuse. Je n’aime pas ses manières et sa façon de faire. J’ai bien compris que pour lui ce n’est qu’une question d’argent. Et même si l’ordre vient de bien plus haut que moi, je refuse, prêt à en assumer les conséquences. Rhabille-toi, s’il te plait.
- … Vous me connaissez comment ?
- Sais-tu pourquoi il t’a envoyée ?
- Non. Je ne m’intéresse pas à ses affaires.
- Il tente d’imposer une solution low cost pour les cantines de la région, favorisant des produits industriels bas de gamme tout en se faisant des marges inadmissibles. Vois-tu de quoi je parle ?
- … Pas vraiment…
- En gros, il veut détruire tout ce que ta mère a mis en place durant des années et que je peine à maintenir depuis son départ.
- Vous connaissez ma mère ?
- Tu ne te souviens vraiment pas de moi ?
J’ai regardé cet homme, un député… Il me disait vaguement quelque chose, mais je ne savais pas si j’avais vu sa photo dans un magazine ou ailleurs. Je me suis sentie stupide ainsi nue devant lui. J’étais là pour « l’attendrir », j’ai eu l’impression à ce moment précis de n’être qu’une pute… Je pris conscience que j’en était juste une finalement. J’ai remonté cette robe trop sexy pour tenter de cacher ma nudité.
- S’il vous plait, dites-moi comment vous avez connu ma mère.
- A l’époque, elle venait d’intégrer la mairie. Elle ne connaissait pas grand-chose aux méandres bureaucratiques, mais elle avait déjà la tête bien ancrée sur ses épaules. Elle savait ce qu’elle faisait et où elle voulait aller. Elle avait la meilleure des motivations pour aller jusqu’au bout : sa propre fille.
- … Vous dites ça d’une façon… Avez-vous eu une relation intime avec elle ?
- J’en ai rêvé plus d’une fois pour être franc. Mais, lorsque j’ai rencontré ton père, auquel tu étais toujours accrochée d’ailleurs, j’ai bien compris que je n’avais aucune raison d’espérer… Je ne t’ai pas vue à son enterrement.
- Je n’y suis pas allée.
- … Chacun a ses raisons… Comme disparaitre du jour au lendemain.
- J’imagine que vous allez lui dire que vous m’avez vue…
- Je m’occupe d’affaires politiques, pas d’affaires familiales. Cependant…
- Je ne peux pas aller la voir.
- Pourquoi ? Qu’as-tu fait de si grave pour ne plus oser parler à ta propre mère ?
- … Je l’ai tué… C’est moi qui ai tué mon père.
- Ce n’est pas ce que j’ai vu dans le rapport…
- Ça n’a rien à voir avec la réalité !
- Jade… je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais rien n’est impardonnable.
- Ah oui ? Et comment lui va pouvoir me pardonner ? Il est mort !
Et je suis partie en larmes. Je venais d’avouer pour la première fois mon crime à quelqu’un. J’avais envie, bien plus que jamais, de recevoir ces coups de cravaches sur mes fesses, mon dos et mes seins parce que je n’avais pas réussi à convaincre ce député… parce que je ne voulais plus penser à tout ça. La douleur physique est tellement plus douce que toutes les autres.