Chapitre 9 : A la source
C’était bien l’adresse marquée sur le dossier de Pauline. Il faisait déjà nuit, mais il n’y avait aucune lumière dans la maison. J’ai tout de même sonné à la porte, mais personne. Ils étaient certainement de sortie. J’allais attendre, il y avait un petit bar un peu plus loin. Il faisait un froid de canard.
- Bonsoir Monsieur, qu’est-ce que je vous sers ?
- Une pression, s’il vous plait… La maison là-bas, à côté de celle qui a les volets bleus, elle est habitée ?
- Pourquoi ? Vous voulez l’acheter ? Roger ! Tu sais si Martin vend sa maison ?... Ah celui-là, dès qu’il a un peu picolé, il n’entend plus rien. Mais, je ne suis pas au courant qu’elle soit en vente.
- Ce n’est pas pour l’acheter.
- Tenez, votre pression… Alors, c’est pour quoi que vous me posez cette question ?
- Je voulais juste savoir si sa fille était chez lui actuellement.
- Pauline ? Ah non ! Ça fait une paire d’années que je ne l’ai pas vue. Et je dois dire que ça me ferait bien plaisir de revoir ce joli brin de fille et son joli petit cul trainer dans les parages. D’ailleurs, ça fait longtemps que je n’ai pas vu Martin non plus. Il reste cloitré chez lui depuis des mois et c’est bien dommage, c’était un bon client.
- J’ai sonné à la porte, mais personne n’a répondu.
- Il n’ouvre à personne. Je crois qu’il a perdu la boule, le pauvre homme. Personne ne sait ce qu’il lui est arrivé. Le mieux serait que vous demandiez à sa gonzesse… Celle-là aussi, je me la taperai bien.
- Charline, c’est ça ?
- Si vous attendez un peu, elle va arriver. Elle bosse dans un restau à l’autre bout de la ville. Elle devrait bientôt finir son service.
Le temps passait, puis, enfin, le barman me fit signe que c’était la voiture de Charline. J’ai laissé un billet sur le comptoir, sans faire attention si c’était trop ou pas assez, et je suis parti. La somme devait suffire, le barman ne tenta pas de me retenir.
J’avais l’impression d’avancer aussi vite qu’un escargot avec ces putains de béquilles de merde. La femme était déjà sortie de la voiture et cherchait ses clés dans son sac. J’étais loin, trop loin, j’ai crié « Charline ? ». Elle se retourna vers moi, et attendit que je m’approche.
- Pardon, vous êtes bien Charline ?
- … Yvan, je présume.
- Est-elle là ?
- Je suis désolée, mais non.
Elle me regarda de haut en bas. Je la regardais aussi, je ne me l’étais pas imaginée ainsi. C’était une jolie femme, particulière, c’est vrai, avec des piercings sur la lèvre, le nez, le sourcil gauche, les oreilles ; un tatouage sur son cou, et sur sa main droite. C’est tout ce que je pouvais voir à ce moment-là si ce n’est qu’elle avait un très joli regard.
- Elle m’a dit que vous étiez charmant… Ça m’a permis de vous reconnaitre.
- Savez-vous où elle est ?
- Oui.
- J’ai comme l’impression que vous n’allez pas me le dire.
- Je ne vous connais pas et je ne sais pas ce que vous lui voulez.
- Ça ne regarde qu’elle et moi.
- Bonne soirée, et peut-être à une prochaine fois.
Elle glissa une clé dans la serrure de la porte d’entrée. Je ne tenais pas à ce que ça en reste là. J’ai joué ma dernière carte, j’ai suivi mon instinct
- Elle est à Bordeaux, c’est ça ? Il y a une audience demain.
- … Elle ne m’a pas dit que vous étiez au courant.
- Elle ne m’en a pas parlé… C’est juste un ensemble de coïncidence qui m’a fait comprendre.
- Et vous allez faire quoi ?
- Je vais aller la rejoindre.
- Là ? Tout de suite ? Vous tenez à peine debout.
- Je vais me trouver un hôtel et je partirai…
- Je ne sais pas où vous croyez être, mais c’est une petite ville ici. A moins de dormir dans votre voiture… Ils ont prévu -15 °C pour cette nuit. Allez, rentrez. Vous avez eu un accident ?
- Oui, de moto, il y a quinze jours de ça. Je suis sorti de l’hôpital ce matin.
- Vous voulez boire quelque chose ?
- Je prendrai bien un rhum pour me réchauffer.
- Vous prenez certainement des médicaments, alors ce sera café ou chocolat.
- … Chocolat alors.
Nous sommes rentrés, il faisait une chaleur excessive dans cette maison, contrastant avec la température de l’extérieur. Charline retira son manteau et enleva ses chaussures. Elle avait une tenue de serveuse, jupe, chemisier. Pauline avait raison, sa poitrine était énorme. Mais, ce qui m’attira l’œil était ce fauteuil roulant en bas des escaliers, des dizaines de boîtes de médicaments posés sur une table.
Une voix venue des escaliers, un peu faible, demanda
- Charline, c’est toi ?
- Oui, je suis rentrée.
- J’ai entendu des bruits, t’es toute seule ?
- … Non, c’est…
- Je m’en fous de qui c’est, fais-le partir !
- Martin ! Il est là pour Pauline !
- Pauline ? Il ne faut pas qu’elle sache, elle est si fragile, fais-le partir.
J’ai alors regardé Charline de façon étonné, et je suis monté. Elle ne m’a pas retenu, je voulais voir qui était ce père. Je suis rentré dans la première chambre, un homme était allongé dans un lit. Seul son visage cadavérique sortait des couvertures. Il me regarda avec des yeux ronds comme des billes qui faisaient presque peur. Sur une table de chevet, une photo de Pauline à côté d’un homme. Etait-ce lui ? Il était méconnaissable. Il me dit alors
- Je me fous de qui tu es, mais ne t’avise jamais de lui raconter ce que tu vois !
- Sinon quoi ?
- Tu ne sais pas ce que c’est lorsque j’ai une crise, je peux être extrêmement violent.
- J’ai plutôt l’impression que vous êtes une loque qui va bientôt crever.
- Tout le monde meurt un jour.
- Ça fait longtemps que vous êtes malade ?
- En quoi ça te concerne ?... Ça a été diagnostiqué il y a environ cinq ans… J’ai une tumeur au cerveau. Les médecins n’ont jamais rien pu faire à part me bourrer de médocs à la con.
- Si je comprends bien, vous n’avez jamais eu l’occasion de l’annoncer à votre propre fille.
- … Laisse Pauline en dehors de ça ! Tu ne sais pas tout ce qu’elle a vécu, je veux la protéger !
- La protéger de quoi ? Vous allez mourir et elle ne saura même pas pourquoi. Ce n’est même pas vous qui lui annoncerez, mais certainement Charline ! Alors que vous, vous serez tranquillement installé dans une tombe à vous faire bouffer par des vers. Ça c’est du courage ! Vous la protégez super bien ! Ça lui fera drôlement plaisir de savoir que son petit papa chéri lui a caché tout ça depuis si longtemps, juste pour la protéger !
- Va te faire foutre connard !
- Va te faire foutre toi-même ! Tu n’es qu’un sale con égoïste ! C’est toi que tu veux protéger ; t’as trop peur du regard qu’elle pourrait avoir sur toi ! Tu n’en as absolument rien à foutre d’elle, sauf lorsqu’elle écartait les jambes devant toi ! Ça, t’aimais, avoue sale merdeux !
- Tu ne sais pas de quoi tu parles. C’est elle qui est venue me chercher…
- Au moment où elle était la plus fragile parce qu’elle se faisait baiser par ses profs… Elle avait certainement besoin d’une autre sorte de réconfort, non ?
- Qu’est-ce que je pouvais faire lorsqu’elle se jetait sur moi ?
- Lui donner une bonne gifle pour lui remettre les idées en place !
L’homme s’est mis à pleurer. J’y étais peut-être allé un peu durement. Ma vision des choses n’était peut-être pas juste. Je ne savais pas… Je suis descendu retrouver Charline, en pleurs elle aussi, assise sur le canapé ; elle me regarda en disant « je ne savais pas pour lui et Pauline ». Etais-je en train de gâcher la vie de toutes ces personnes ? En tout cas, je commençais à culpabiliser sérieusement.
Peut-être est-ce pour cette raison que, après qu’elle m’ait aidé à changer mes bandages et passé de la crème sur mes brûlures, je l’ai laissée m’embrasser. Nous avions parlé longuement de sa situation. Cette révélation lui fit beaucoup de mal, mais elle n’en voulait à personne. Elle était douce, gentille, triste. Son baiser mêlé de ses larmes était d’un goût exquis. J’ai aimé sentir cette poitrine lourde s’écraser contre la mienne. Je l’ai regardée se déshabiller sous mes yeux avec envies.
Elle m’avoua en avoir marre de fantasmer continuellement qu’un homme la touche à nouveau sans que cela arrive. J’ai eu l’impression de lui devoir au moins ça. Et nous nous sommes couchés dans le même lit, nus l’un comme l’autre. Elle est montée sur moi, elle a pris ma main qu’elle guida sur son corps. Elle voulait de la tendresse, elle voulait se sentir à nouveau désirable et aimée. J’espère lui avoir offert ce moment qu’elle a tant espéré, jusqu’à ce que la fatigue nous gagne, jusqu’à ce que nous nous endormions l’un contre l’autre.
Mais, le lendemain matin, les choses étaient très différentes. Les pompiers étaient venus chercher Martin qui convulsait. Charline l’avait accompagné jusqu’aux urgences. Je cherchais désespérément un moyen pour contacter Pauline : son père était entre la vie et la mort.