Chapitre 27 : Christelle
Je la vois dans sa cuisine par la fenêtre ouverte. Je prends mon courage à deux mains et j’avance dans leur allée. Elle a dû m’apercevoir aussi car elle me dit tout de suite :
- Vous avez dû vous tromper de trottoir, Mademoiselle. Vous n’être pas la bienvenue ici.
Je m’arrête. Je m’étais promise de ne pas pleurer, mais mes larmes se mettent à couler. Je ne sais pas quoi dire. Mon frère m’a déposée et est aussitôt reparti. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de bus un dimanche pour que je retourne chez moi. Et la mère de Stan reprend, toujours avec un air aussi froid :
- En plus, mon fils est dans sa chambre à dormir. Je ne veux pas que vous le dérangiez.
- … C’est vous que je venais voir, en fait.
- Vraiment ? Désolée, mais je n’ai pas le temps. Je dois m’occuper du repas de ce midi. J’ai des petits fours à préparer. Au moins, Luc va nous présenter une personne convenable. Ne vous inquiétez pas, nous ne parlerons pas de vous afin d’éviter que votre professeur n’ait une mauvaise opinion de vous, si ce n’est pas déjà le cas.
J’en conclue qu’elle n’est pas au courant. Tant mieux pour Annie. Je ne vendrai pas la mèche de toute façon. J’espère qu’elle ne la reconnaitra pas. Mais, mes larmes ne s’arrêtent pas pour autant. Je laisse tomber. J’en ai marre de me faire insulter sans pouvoir m’expliquer. Je lui dis juste :
- Désolée de vous avoir dérangée. Je vais vous laisser. Sachez juste que j’aime votre fils. C’est quelqu’un de bien.
- … Bien… Bon, si vous savez utilisez vos mains pour autre chose que… ce que nous savons toutes les deux, peut-être pouvez-vous m’aider dans mes préparatifs. Ceci ne veut pas dire que je vous accepterai à ma table.
- Je veux bien. Merci.
- La porte est ouverte. Venez donc. Je suis en tout cas surprise de voir que vous pouvez porter des tenues correctes.
Je lui souris. Je le prends comme un compliment. J’entre, je retire mes baskets et je vais la rejoindre dans la cuisine. Elle me dicte ce que je dois préparer. Je me lance, sans dire un mot. J’avais pourtant répété tout un speech, mais je ne m’en souviens plus. Alors, je prépare les tartelettes en gardant le silence.
Elle vient vérifier que je fais comme elle veut :
- C’est joli. Elles ressemblent à des fleurs.
- C’est ma grand-mère qui les faisait comme ça quand j’étais petites. Et du coup, je fais comme elle.
- Eh bien, vous pourrez lui dire que j’aime beaucoup.
- Ce ne sera pas possible, malheureusement.
- Oh, pardon… je suis désolée.
- C’est pas grave. Vous ne pouviez pas le savoir.
- Et elle vous a offert d’autres dons ?
- Ma grosse poitrine.
- … Je n’appelle pas ça un don.
Non, c’est vrai, ce n’en est pas un. C’est un poids en fait. Elle attire les mecs, c’est sûr. Elle attire les regards, de tout le monde. Parfois je la déteste, parfois je l’adore. En tout cas, je l’accepte parce que souvent on l’aime. La mère de Stan me demande de me lever. J’obéis. Elle me dit :
- Tenez-vous droite.
- Heu, je suis droite.
- Non, vous êtes légèrement voutée. Vos seins sont lourds et ça joue sur votre colonne vertébrale. Vous risquez d’avoir des problèmes de dos. Retirez votre chemisier et votre soutien-gorge. Baissez aussi votre jupe pour que je puisse examiner votre coccyx.
- Pardon ?
- Je suis kinésithérapeute, je veux juste voir dans quel état est votre dos.
Je ne dis plus rien. Je me mets en soutien-gorge dans sa cuisine, puis le retire. Je baisse ma jupe longue jusqu’à mi-fesses, elle tilte en voyant que je n’ai pas de culotte. J’ai trop pris l’habitude de ne pas en porter que je n’ai même pas pensé à en mettre une ce matin. Elle pose ses mains sur moi. La situation est très étrange tout de même. Elle sort :
- Bon, vous avez une petite scoliose, mais rien de bien grave. Vous faites du sport ?
- Heu… ben…
- Je vous conseille la natation. Vous vous musclerez alors le dos ce qui allègera le travail de votre colonne.
On entre dans la cuisine alors qu’elle me soupèse la poitrine. C’est le père de Stan qui me découvre, une nouvelle fois, dans une situation inconfortable. Il s’arrête, surpris :
- Euh… il se passe quoi ici ?
- Une consultation gratuite en échange d’un service. Et, au lieu de rester bêtement à ne rien faire, allume donc le four à 170°C et dégage d’ici.
Elle se met ensuite devant moi, m’attrape les épaules, et appuie dessus vers l’arrière. Le père de Stan quitte la pièce sans rien dire, mais ayant cet air qui montre qu’il ne comprend rien à cette situation. La mère me dit :
- Une consultation par semaine pendant deux mois devrait vous aider à vous remettre en état.
- … C’est gentil, mais je n’ai pas du tout les moyens…
- C’est remboursé par votre sécu et votre mutuelle.
- Je n’ai pas non plus les moyens de prendre une mutuelle.
- Bon… je le note. Vous pouvez vous rhabiller. Je vais tout de même vous laisser ma carte.
Je remonte ma jupe et récupère le reste que je remets sur moi. La mère de Stan me dit :
- Pouvez-vous me couper les poivrons en petits dés ?
- Oui, je m’en occupe. Je ne savais pas que vous aviez fait médecine. Stan m’a dit que vous étiez dans une sorte d’école privée pendant vos études avec votre mari.
- Oh, je n’ai fait que la première année. J’ai préféré partir.
- Vous n’aimiez pas ?
- Si… mais… il vous a dit quoi d’autre ?
- Euh… que vous étiez miss bizut…
- Comment sait-il ça ? Je sens que vais devoir avoir une nouvelle conversation avec mon mari. Tiens, c’est Luc et sa petite amie. Ils sont déjà là ? Il est quelle heure ?
- 10h30.
- Ils ne devaient pas arriver avant midi. C’est étrange, j’ai l’impression de l’avoir déjà vue.
Et elle se retourne vers moi avec de grands yeux. Elle l’a reconnue. Je crois devenir toute rouge. Et elle me demande :
- Elle enseigne quelle matière à la fac ?
On sonne à la porte. Elle s’essuie les mains en me jetant un regard noir. Je reste assise sur la chaise à couper les légumes, sans dire un mot. J’entends Luc dire :
- On préférait venir tâter le terrain en avance…
- Oui, c’est une bonne chose.
- Je te présente…
- Je la reconnais bien. Va donc aider ton père à faire… ce qu’il fait, et je vais faire plus ample connaissance avec mademoiselle dans la cuisine.
- Euh… maman, sois pas fâchée.
- Dégage ! Et vous, vous me suivez !
Annie entre à reculons. Elle est bien surprise de me voir, mais ne dit pas un mot. La mère de Stan pousse ma prof à s’assoir à côté de moi. Elle lui donne un concombre, un économe et un couteau en disant :
- Allez, hop, au travail vous aussi.
- Madame, commence à dire Annie. Je peux vous…
- Mais, vous n’avez pas honte de vous ? Faire ce que vous avez fait, dans ces tenues, devant d’autres personnes en plus. Mais, c’est insensé. Vous êtes professeur et élève tout de même. Mais, où est-ce que mes fils vous ont trouvées ?
- Ce que vous avez vu ne représente pas exactement ce qu’il s’est passé.
- Je peux vous appeler par votre prénom ?
- Oui, si vous voulez.
- Bien, Annie. J’ai vu bien plus que je n’aurais préféré. Je ne sais pas quel est l’imbécile qui a utilisé le camescope familial, mais je peux vous assurez que j’ai bien vu ce qu’il se passait, avec les bruitages en plus. Et mon mari aussi.
Je n’en mène vraiment pas large. Annie non plus d’ailleurs. Mes dés de poivron sont totalement loupés. Elle a donc tout regardé. Son mari également. C’est la honte totale. Annie avait certainement voulu faire une bonne première impression en portant cette jolie petite robe d’été à fleurs. Ben, c’est loupé. Elle demande tout de même à la mère de Stan :
- Et il va se passer quoi maintenant ?
- Nous allons passer un déjeuner comme il était prévu, en essayant de ne pas penser à toute cette histoire et en fêtant l’anniversaire de Luc. Et ensuite, je peux vous assurer que la relation avec mes fils sera terminée. Suis-je bien claire ? Vous n’êtes pas dignes d’eux.
Et elle devient toute blanche, encore plus qu’Annie et moi. Elle prend à son tour une chaise et s’assoit. Je lui demande :
- Vous n’avez pas l’air d’aller bien.
- Non… je me transforme en ma belle-mère.
- Et vous ne vous entendez pas avec elle ?
- Pas vraiment, non. Les débuts ont été très compliqués entre nous.
- Ah… à cause de… ce dont nous parlions tout à l’heure ?
- Parce que je me suis mise quasiment à poil devant 500 élèves pour devenir miss bizut ? S’il n’y avait eu que ça.
Annie me regarde, elle ne semble pas au courant de cette histoire. J’aimerais bien lui expliquer, mais ce n’est pas vraiment le lieu ni le moment.